Les biostimulants, un secteur en consolidation et un allié de la transition agro-écologique
Les biostimulants sont des intrants agricoles, définis au niveau européen comme « des fertilisants qui stimulent le processus de nutrition des végétaux indépendamment des éléments nutritifs qu’ils contiennent, dans le seul but d’améliorer une ou plusieurs caractéristiques suivantes des végétaux ou de leur rhizosphère : l’efficacité de l’utilisation des éléments nutritifs, la tolérance au stress abiotique, les caractéristiques qualitatives, et la disponibilité des éléments nutritifs confinés dans le sol et la rhizosphère ». Ils peuvent ainsi contribuer à optimiser la qualité ou le rendement des grandes cultures ou des cultures spécialisées en améliorant la résilience des plantes aux différents aléas, par exemple via une meilleure assimilation de l’eau et des nutriments, et une meilleure gestion des stress climatiques.
Le terme de biostimulants n’est apparu que dans les années 1990 et il est défini au niveau scientifique comme une formulation de composés d’origine biologique qui améliore la productivité des plantes. Ces substances naturelles peuvent être organiques (algues, substances humiques, hydrolysats de protéines, extraits végétaux), microbiennes, ou inorganiques. Les biostimulants représentent donc une alternative intéressante à de nombreux produits phytosanitaires et chimiques utilisés dans l’agriculture depuis plusieurs décennies, et sont un des leviers technologiques intéressants de la transition agro-écologique.
Le cadre juridique
Les évolutions règlementaires ont été assez lentes, même si la reconnaissance des biostimulants a été actée au niveau européen par le règlement UE 2019/1009, règlement harmonisé de toutes les Matières Fertilisantes et Supports de Culture, paru en 2019 et entré en application en juillet 2022, donnant aux biostimulants un cadre légal et les intégrant à la famille des MFSC. La commission européenne reconnait le statut « Marquage CE biostimulants » ce qui permet enfin aux entreprises d’obtenir des AMM, CEPP et Marquage CE sur des biostimulants sans supports ou ajouts externes.
Il s’agit ainsi d’une filière émergente et qui a bénéficié de peu d’attention jusqu’à présent, à la fois de la part du monde scientifique mais surtout de la part des autorités publiques et acteurs agricoles. Toutefois, elle se structure, grâce à des institutions comme l’EBIC notamment (European Biostimulant Industry Council : 70 membres, 10 ans d’existence), qui, à l’initiative d’entreprises privées, participe à la reconnaissance de ces produits et à l’avancée des règlementations.
Même si le marché reste encore très fragmenté, avec diverses PME et quelques grands acteurs internationalisés (UPL Limited, Biostadt India Limited, Isagro SPA, Valagro SPA, Tradecorp International…), il est de plus en plus concurrentiel, attirant de nouveaux entrants (petites ou moyennes entreprises) et suscitant l’intérêt de grands groupes multinationaux comme Bayer ou Syngenta. On assiste ainsi à un début de consolidation du marché, avec des majors qui achètent des entreprises afin de rattraper leur retard (par exemple rachat de Valagro par Syngenta en 2020). Reste à savoir si le but premier des majors est de suivre la tendance de manière opportuniste, ce qui serait positif pour le marché en lui donnant une visibilité accrue, même si cela se fait au détriment des petits et moyens acteurs ayant poussé l’innovation et lareconnaissance des biostimulants jusqu’à présent. D’un autre côté, il est possible que les groupes producteurs de phytosanitaires aient en partie pour intérêt, via ces rachats, de freiner le développement des biostimulants, ou du moins de l’adapter à leur propre calendrier avec une baisse de production des produits polluants plus lente que celle qui serait souhaitable.
L’Europe est la zone la plus utilisatrice de biostimulants, devant l’Amérique du Nord et l’Asie. Avec une taille estimée entre 1,5 et 2 Mds USD en 2022, elle comptait pour environ la moitié du marché mondial. Au niveau global, les dernières prévisions font ressortir un TCAM de 10 à 12% sur la période 2024-2032, pour un marché qui pourrait s’approcher des 10,0 Mds USD. Pour comparaison, ce dernier reste très limité par rapport au marché global des pesticides, qui représentait 45,7 Mds USD en 2022, et qui devrait croitre à un TCAM de 7,5% pour atteindre 92,6 Mds USD en 2032, porté par des besoins alimentaires accrus et malgré les préoccupations environnementales et de santé publique.
Outre les enjeux évidents liés directement à l’environnement (changement climatique, biodiversité, réduction des terres cultivables et des ressources en eau…), aux rendements des agriculteurs et aux demandes sociétales (produits bio, production locale et raisonnée…), les biostimulants peuvent jouer un rôle stratégique accru dans le contexte actuel d’instabilité (guerre en Ukraine, pénuries de pétrole et de denrées agricoles, problématiques globales de supply chain…) en permettant d’améliorer la souveraineté alimentaire européenne et en réduisant la dépendance aux intrants d’origine minière et pétrolifère.
Réformer les méthodes de production agricole
Les biostimulants se placent ainsi dans une réforme plus large des méthodes de production agricoles, mais leur adoption à grande échelle reste restreinte par une méconnaissance voire une méfiance vis-à-vis de ce type de produits par les utilisateurs finaux, et de manière plus pragmatique par la disponibilité encore limitée des biostimulants au niveau global.
La croissance de ce marché est également soumise à une régulation encore très récente et évolutive, notamment aux États-Unis où les règlementations environnementales sont gérées par l’EPA (Environmental Protection Agency), dont les pouvoirs pourraient être largement réduits en cas d’une nouvelle élection de Donald Trump en novembre 2024. D’autant plus que ce dernier bénéficierait du soutien de la Cour suprême, à majorité conservatrice, et qui a déjà restreint dans une certaine mesure certaines les capacités d’action de l’EPA, notamment sur des problématiques liées à la pollution de l’eau.
Ces changements profonds ne sont pas forcément bien vus par tous les agriculteurs, qui doivent faire évoluer leurs habitudes après des décennies d’utilisation de produits phytosanitaires. Ainsi, début 2024, et face à une crise agricole alors en train de prendre de l’ampleur, le gouvernement français avait annoncé une mise en pause de son plan Ecophyto II+, qui visait une réduction de l’usage des pesticides de 50% d’ici 2030, un objectif poursuivi et non atteint depuis le premier plan Ecophyto de 2008. Si début 2024 le gouvernement a finalement confirmé le maintien de cet objectif de 50% à 2030, les modalités de calcul ont drastiquement changé. Dans le cadre d’une harmonisation européenne, la période de référence (2015-2017 auparavant contre 2011-2013 désormais) mais surtout l’indicateur (Nodu à HRI-1) ont été modifiés. Alors que le passage du Nodu au HRI-1 a été bien accueilli par le syndicat agricole majoritaire (FNSEA), la baisse induite par ces modifications semble être trompeuse, ce que déplorent les associations écologistes et les acteurs de l’agriculture biologique. Ainsi, selon l’ONG Générations Futures, le HRI-1 affiche une baisse de 32% entre 2011 et 2021 alors que le Nodu a, lui, augmenté de 3% pendant la même période, ce qui montre bien les divergences d’intérêt entre les différents protagonistes et les arbitrages qui pourraient se faire au détriment des enjeux environnementaux et de santé. Les modalités exactes de ce nouvel indicateur restent toutefois encore en suspension et pourraient être modifiées en cours de route, suite aux travaux de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) en concertation avec ses homologues européens.
En tant que principal marché mondial, les décisions prises par les institutions européennes pèseront fortement sur le développement global des biostimulants, alors que la Commission européenne reste elle aussi soumise aux pressions et lobbys du monde agricole et de l’industrie chimique. En février 2024, la Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, à l’instar du gouvernement français, avait également annoncé le retrait du projet de loi « Sustainable Use Regulation » (SUR), visant à la réduction des pesticides en Europe. Présenté par la Commission et déjà rejetée en 2023 puis bloqué en négociations depuis, son retrait marque une première défaite du Green Deal européen. Dans un contexte social tendu, l’appétit politique des principaux partis pour des réformes de ce type semble faible, d’autant plus à la veille des élections européennes, et ce sera ainsi à la prochaine Commission de présenter une nouvelle version de sa vision sur la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires et la recherche de solutions alternatives. Toutefois, on peut déjà regretter que les sujets environnementaux et en particulier les biostimulants prennent une place réduite dans les préoccupations pré-scrutin à travers l’Europe, marquées davantage par les problématiques de pouvoir d’achat, d’immigration ou la guerre en Ukraine.
Les acteurs du secteur, notamment à travers l’EBIC, continuent néanmoins d’essayer de relancer les débats, au niveau européen notamment, même s’ils semblent encore peser peu face aux lobbys des géants des pesticides et de l’industrie chimique et aux risques liés à fronde généralisée des agriculteurs en Europe.
Florian Mascioni-David
Diplômé de l’IAE Aix-Marseille en 2016, Florian a développé des compétences plurales (analyse financière et stratégique, évaluation d’entreprise, modélisation financière), au sein d’établissements financiers diversifiés (fonds d’investissement, boutique d’affaires, grandes banques ou encore Bpifrance) à la fois en France et à l’étranger. Il a intégré les équipes INBONIS en septembre 2021, et occupe aujourd’hui le poste de Lead Analyst et Approving.